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Minute d'une lettre de Cabra au baron de Cuvelier, secrétaire général aux Affaires étrangères de l'E.I.C., [1898]

 Pièce
Identifiant: HA.01.0115.41

Présentation du contenu

Cette lettre doit dater des premiers mois de 1898. Déjà en juin 1897, dans son 4e rapport, Cabra, impressionné par les "pauvres hères" rencontrés dans le Bas-Congo, souhaitait que les populations du Haut-Congo ne soient pas à leur tour contaminées par le 'rhum de traite". Depuis, le gouvernement l'a chargé de la délimitation de l'enclave de Cabinda et non plus de l'étude de la région. Cependant, il pense répondre aux instructions verbales reçus avant son départ en préparant un rapport général sur le délimitation et sur la région étudiée. Mais les journaux lui apprennent que doit s'ouvrir à Bruxelles une conférence internationale, appelée à étudier la question du régime de l'alcool dans le bassin conventionnel du Congo. De là son désir "d'apporter à temps de renseignements, d'où je voudrais l'espérer, des arguments utiles pourront être extraits". Sans prétendre à une analyse toujours juste des causes de la dépopulation, Cabra fait parvenir ses réflexions. Son collègue portugais, qui n'a pas moins de 18 ans d'Afrique, fait parvenir un rapport analogue à son gouvernement.

Situation de la population de la région du Bas-Congo dans la zone frontière entre l'E.I.C. et les possessions portugaises de l'enclave de Cabinda.

Déjà en septembre et octobre 1896, Cabra avait parcouru la région frontière entre le Congo et la Lukula: "J'ai dit la pénurie d'enfants, le peu d'étendue et le triste état des plantations; j'ai parlé de l'unique occupation qui semblait absorber les rares et faméliques habitants: l'enterrement de ceux qui étaient morts ou depuis quelques jours ou depuis un mois ou depuis un an, suivant que le rang social des disparus leur valait des funérailles ordinaires ou somptueuses"... Rappelé dans les mêmes parages en 1897, Cabra constate un dépeuplement rapide: "Où quelques pauvres diables enterraient leurs morts, je n'ai plus trouvé que les vestiges de ce qui avait été un village où j'avais compté 25 et 30 cases habitées. J'ai rencontré 2 ou 3 misérables huttes, dont une, parfois, comme à Bongo-Congo, abritait des agonisants". M. Nunés, commissaire portugais, qui connaît bien la région, a lui aussi été stupéfait de constater que des centres assez importants étaient devenus de pauvres agglomérations. Cabra et Nunés ont rencontré "plus de ruïnes que de villages...". D'après les missionnaires de la Lukula, "la population de certains villages avait diminué dans la proportion de 10 à 1". Tous les témoignages corroborent ces observations. Enfin, le commissaire portugais éprouve, aussi bien que Cabra, des difficultés à se procurer des hommes. Il en est vraisemblablement de même dans plus d'une région de la zone frontière. Pour Cabra, la dépopulation tient à 3 sortes de causes: 1. La disparition des cadres politiques traditionnels : Le manque d'autorité des chefs entraîne un relâchement des moeurs : l' adultèere, la polygamie, l'avortement sont plus fréquents. Une morala plus humaine n'a pu encore s'imposer en si peu de temps. Du point de vue économique, l'indolence et l'imprévoyance des indigènes leur ont fait réduire la culture et l'élevage au strict minimum. " Même en temps normal , le Noir se nourrit peu et mal dans cette région et la fécondité de la race s'en ressent. Enfin malgré les efforts si admirables des missionnaires, le zèle et le dévouement des agents des puissances colonisatrices, le fétichisme et l'empoisonnement judiciaire exercent encore d'importants ravages. Si dans les villages restés purement indigènes, l'état politique est voisin de l'anarchie, l'état social est l'application et l'expérience du socialisme et du communisme. La moindre supériorité ou semblant de supériorité est imputé à mal, le plus petit avoir, les moindres éconoies sont considérées comme une spoliation exercée au détriment de la communauté". Tout thésauriseur est soupçonné d'attirer sur le village la colère des dieux : " ... du soupçon ou de l'accusation, on a vite fait de passer à la mise à mort du prétendu coupable".

2. Les causes qui tiennent à la présence du blanc Cabra, sans s'arrêter aux inconvénience inévitables " quand il existe entre le colonisateur et le colonisé une très grande inégalité de développement intellectuel et moral", constate qu'il existe d'autres causes plus concrètes de dépeuplement : si l'Européen a donné le vaccin aux Noirs de la côte et a combattu la variole, en revance, il a malheureusement importé la syphilis. De Plus, ce sont les villages du Bas-Congo qui fournissent les concubines aux Européens, commerçants, fonctionnaires et militaires. " Il est inutile, je pense, que je dise que le métissage ne compense pas la perte d'enfants noirs qui résulte de cet état de choses". Si ce sont là des situations regrettables, elles n'en sont pas moins transitoires et difficilement évitables.

3. L'alcool.

" Mais il n'en est plus ainsi quand on considère le véritable fléau qui décime les malheureux nègres de la région et qui aura bientôt achevé son oeuvre de destruction si les puissance ne prennent pas de mesures radicales à bref délai .... si l'alcool de traite continue à pouvoir aisément pénétrer chez les indigènes, il ne faudra plus deux générations pour que la race Bas-Congo ait vécu ....". Les missionnaires de la Lukula et m. Nunès partagent cette opinion. M. Tilman, docteur en sciences. attaché à la mission, a analysé cet alcool : il est fait de produits de mauvais goût, en d'autres termes de déchets ( qui se vendent en Europe sous la forme d'alcool à brûler), additionnés d'alcool méthylique, et parfois d'aniline! Dans son ignorance, l'indigène s'est jeté dessus : " Il sert comme appât, comme paiement des produits du pays et pour une bien plus grande part que les denrées ou les étoffes ... Malgré toute notre répugnance nous devons, nous les commissaires des Gouvernements, sous peine de n'obtenir ni vivres, ni travail, distribuer l'alcool dans une proportion malheureusement trop grande". Les missionnaires catholiques eux-mêmes doivent y recourir. Même les femmes et les enfants en boivent à l'excès. Cet alcool frelaté, donc tres bon marché, titre 94 ° à 96 ° centigrades à son arrivée. Les vendeurs y ajoutent une quantité égale et en retirent donce un gros bénéfice. Quel remède y apporter? Les commerçants diront que l'alcool est devenu indispensable aux transactions avec l' indigène. Mais quand il n'y aura plus d'indigènes, avec qui trafiqueront-ils? Ils prétendent que l'alcool n'est pas le principal coupable : mais le dépeuplement remonte les rivières au fur et à mesure de l'installation des maisons de commerce jusqu' à l' extrême limite de la navigation. Faut-il supprimer l'alcool, en surveiller l'introduction, distiller des produits du pays et contrôler la production? Cabra ne peut en décider; mais il affirme avec énergie que 'si l' Européen continue de vendre l'alcool de Hambourg, il ne vient pas en Afrique en civilisateur mais en exterminateur".

Dates

  • [1898]

Volume

1 pieces

Langue des matériaux

Français

Numéro d'entrée (Histoire et Politique)

1953.43.40

Source

Producteur

Détails du service d'archives

Fait partie de Archives de particuliers - Histoire coloniale Service d'archives